mardi 22 octobre 2013

Une brève introduction…

Ce blog se veut une réflexion sur la problématique d’évaluation et de gestion des coûts reliée à la comptabilité verte.

             D’un côté, une société de plus en plus sensibilisée, portée par le vent écolo qui souffle de plus en plus fort, intensifiant la pression sociétale sur les entreprises et, des gouvernements exigeant, à coup de règlementations et d’incitatifs,  une pro-action environnementale.  De l’autre, l’industrie, prise dans le carcan des mesures de performance financière, axée principalement sur le bon vieux billet de banque.  Difficile de mesurer réellement les avantages d’investissements aussi intemporels et incorporels que le sont ceux en environnement et d’y voir une source potentielle de profitabilité!  


                Une évolution des us et coutumes qui a forcé l’/entreprise à s’adapter, à considérer autrement les coûts relatifs à l’impact environnemental de sa production, tel que le démontre les phases du tableau ci-dessous:




                Nous utiliserons cette tribune pour d’abord soulever la relation, à première vue, dichotomique, entre performance financière et investissement environnemental.  De la nécessité d’internaliser les coûts environnementaux, de la problématique de la mesure et du caractère arbitraire que semble revêtir l’analyse coûts-bénéfices classique.  Cette mise en place faite, nous verrons les principaux outils utilisés par les entreprises pour tenter de gérer ces coûts nouvellement internalisés et commenterons leur valeur.  Ce blog se veut une tentative de réponse à la question : Comment les outils de gestion des coûts peuvent aider à la mise en place de politiques de développement durable ?".
  Allez voir cette vidéo!
 http://www.youtube.com/watch?v=dogaVoWzE7o

         Annick, Alice-Anne & Catherine

Une petite mise en place : les origines, enjeux et débats


           L’idée d’une comptabilité environnementale est née vers les années 1970.  Plusieurs débats sociétaux et empiriques se sont alors ouverts. 


         Le développement durable est au cœur de toute cette tentative de déplacement des pratiques comptables traditionnelles.  Ce dernier se défini comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Le développement durable s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement »[1].  Confrontée à plusieurs principes comptables, cette définition tend à prouver la nécessité de tenir en compte l’environnement dans la stratégie et la structure financière de toutes entreprises : le principe de prudence refuse l’hypothétisation non fondée, de même que le principe de continuité d’exploitation et de maintenance du patrimoine oblige à prendre en compte un horizon temporel éloigné et à en considérer tous les aléas connus ou possibles!  On voit clairement, dans la confrontation de sa simple définition aux principes comptables, que le développement durable se fracasse à un univers purement économique, se limitant souvent au court terme et à la nécessité de se chiffrer exclusivement en dollars.  On doit se battre contre un géant : les états financiers et le budget!

            Plus loin encore que la simple confrontation des principes comptables, le resserrement des règlementations, la détérioration dénoncée de l’environnement, les débats sociétaux, la vision politicalisée et largement diffusée de la relation win-win entre environnement et économie, forcent les entreprises à se repositionner sur leur intégration des questions environnementales.  Le choix se transforme, dès lors, en obligation.  Une obligation différente pour tous : maintien de l’image, règlementations, pérennité à long terme, concurrence, mode, stratégie, etc.

           Deux modèles naîtront des débats de ce nouvel impératif: le modèle économique classique et le modèle  de Porter.  Le premier considère la pollution comme une externalité négative qui entraîne nécessairement des coûts et affecte la rentabilité de l’entreprise (théorie des externalités négatives).  Nous sommes ici dans la relation win-loose et dans la tentative d’un calcul ‘coûts-bénéfices’, largement critiqué dans cette optique environnementale.  Le deuxième modèle, introduit par Porter (Porter, 1991; Porter & Van Der Linde, 1995), défini ces mêmes pressions environnementales comme un incitatif d’amélioration de la compétitivité de l’entreprise. Plusieurs travaux subséquents tendront à prouver les avantages qui découlent d’investissements environnementaux (Landry, 1990; Robins, 1992).  Avec Porter, on revient donc à la perspective ‘win-win’ évoquée précédemment.  Évidemment, l’intangibilité et l’inconsistance des mesures affectées à ce type d’investissement feront naître des résultats contradictoires.  Les travaux de Azzone & Bertèle (1994) et de Lanoie et Tremblay (1999) valident l’hypothèse de Porter, alors que ceux de Boyd & McCelland (1999) & de Palmer, Oates & Portney (1995) la révoque.

                
            On s’est aussi demandé qui, dans cette sacro-sainte comptabilité, était l’acteur clé de la mise en place de ce nouveau type de prise en compte des coûts?  Certains attribueront le rôle de la diffusion et de sensibilisation au comptable, en raison de son poste clé, voire de sa crédibilité (Medley, 1997; Reyes, 2001).  D’autres contesteront la capacité de ce dernier à jouer le rôle de facilitateur, évoquant le fait que son « attachement au paradigme financier l’amène à traduire la responsabilité sociale de l’entreprise sous forme de gestion des risques et de création de valeur […], ce qui conduit à voir la responsabilité sociale de façon réductrice et nuit à l’émergence d’une véritable reddition de compte »[2].  Les études empiriques s’attarderont ensuite sur l’attitude même du comptable face à cet ajout d’expertise.  Certains perçoivent chez lui une hésitation (Deegan, 1996; Wilmshurt & Frost, 2001), d’autres décèlent une attitude positives et une ouverture certaine (Bebbington, 1994; Lodhia, 2003).

                Nous sommes davantage, ici, face à un débat idéologique découlant du manque de variables tangibles qui pourraient rendre ce calcul coûts-bénéfices de l’investissement environnemental, fort et viable pour la communauté comptable. 

         De la vision pessimiste d’Alfred Marshall (1842-1924), qui définissait les externalités liées aux coûts environnementaux comme « des conséquences néfastes qui découlent de la production ou de la consommation d’un bien ou d’un service et qui sont transférées à une terce partie extérieure à l’entreprise »[3], on passe aux affirmations du gourou du développement durable, Bob Willard[4], qui affirme fermement, dans son ouvrage, que nous sommes en face d’une arme concurrentielle très puissante.

Références
Boiral, Olivier, (2004), Environnement et économie : une relation équivoque, Vertigo- revue électronique des sciences de l’environnement, volume 5, numéro 2, novembre.
Caron, Marie-André; Ferchichi, Anne; Nars-Eddine, Mohamed, (2006),  Le comptable et la responsabilité sociale de l’entreprise, Une question de connaissance ou de compétences? Gestion, Été, volume 31, numéro 2, p.92-100.
CMA Canada, (1999), Comptabilité de développement durable : point de vue de l’entreprise.
CMA Magazine, Responsabilité sociale : À combien peut-on estimer la valeur des abeilles et de la pluie?, Juillet-août 2012, p.28-29.
Malo, Jean-Louis, (1999), Développement durable et principes comptables, Comptabilité-Contrôle-Audit, Volume 1, mars, éditorial.
Ministère du Québec, Développement durable, Environnement, Faune et Parcs, http://www.mddefp.gouv.qc.ca/developpement/definition.htm, [Page consultée le 25 septembre 2013].




[1] Ministère du Québec, Développement durable, Environnement, Faune et Parcs, http://www.mddefp.gouv.qc.ca/developpement/definition.htm, [Page consultée le 25 septembre 2013].
[2] Caron, Marie-André; Ferchichi, Anne; Nars-Eddine, Mohamed, (2006),  Le comptable et la responsabilité sociale de l’entreprise, Une question de connaissance ou de compétences? Gestion, Été, volume 31, numéro 2, p.92.
[3] Hardin, G. (1993), Living within limits: Ecology, economics and population taboos, New-York, Oxford University Press.
[4] Dans son ouvrage : The New Sustainability Advantage : Seven Business Case Benefits of a Triple Bottom Line, New Society Publishers, 2012.

Que représentent les coûts environnementaux?



     Pour une organisation, les coûts environnementaux peuvent être catégorisés comme étant des coûts internes ou bien des coûts externes. Ceux-ci sont étroitement liés au concept de développement durable, sujet de plus en plus préoccupant pour les entreprises de tous les secteurs d’activités confondus.   




     Dans un premier temps, les coûts internes englobent les coûts environnementaux directs et indirects ainsi que les coûts de conformité. En ce qui concerne les coûts directs et indirects, ils tiennent compte par exemple des mesures instaurées pour une saine gestion des déchets, de la formation des employés sur la protection de l’environnement ou encore de la recherche et développement axé sur l’environnement. De nos jours, les entreprises sont de plus en plus règlementées en matière de politiques environnementales et de gestion durable, c’est pourquoi elles doivent assumer des frais de conformité voire même se doter de certifications environnementales. Faire en sorte que les équipements et machineries employés lors du processus de fabrication respectent les réglementations de l’industrie se révèle être un coût de conformité. Une organisation ne peut se soustraire de ces coûts environnementaux internes. Si elle en décide ainsi, cela risque fortement de mettre en péril sa pérennité.

     Dans un deuxième temps, les coûts externes aussi connus sous le terme d’externalités sont des coûts qui ne sont pas assumés par l’émetteur (l’organisation), mais plutôt par la société dans son ensemble. Prenons pour exemple l’épuisement des ressources naturelles, ce n’est pas l’entreprise exploitant les dites ressources qui devra  en défrayer les coûts, mais plutôt les générations futures qui devront trouver des substituts. Il en va de même pour les émissions résiduelles de déchets toxiques émises dans l’air et dans l’eau par les organisations lors de leurs diverses activités. Dans la même lignée, supposons qu’une usine de pétrochimie s’installe près d’un quartier résidentiel. Cela mènera fort probablement à une baisse des valeurs mobilières, une externalité assumée par les résidents du quartier lors de la vente de leur demeure. Si ces derniers sont chanceux, ils recevront peut-être une compensation de la part de l’entreprise, mais vaut mieux ne pas trop espérer.

     La comptabilité environnementale a pour but d’internaliser ces coûts, autrefois externalisés et supportés par la société, en incluant dans le produit ou service vendu la portion des dépenses relatives à l’impact de sa fabrication sur l’environnement à long terme.  Cette réintégration semble facile, mais fait face à une problématique majeure : la mesure.  L’objet de comptabilisation : les externalités, demeurent un concept flou et difficilement chiffrable dans un système comptable devant présenter des comptes justes et profitables.  L’horizon temporel très long terme des investissements environnementaux est également un concept nouveau, alors que l’horizon des projets d’investissements dépasse rarement 10 ans.

  Cette problématique nous amène à reconsidérer les méthodes traditionnelles de calcul des investissements et à se requestionner sur le bien-fondé de l’utilisation d’une analyse coûts-bénéfices classique. Peut-on réellement utiliser une méthodologie développée pour la mesure de projets dont les bénéfices sont clairement identifiables et chiffrables?  Peut-on utiliser un horizon temporel court-moyen terme pour l’analyse de projets d’investissement environnementaux?  L’utilisation de cette méthodologie ne risque-t-elle pas de décourager les entreprises à internaliser ce type de coûts?

L’analyse coûts-bénéfices…un choix discutable comme mesure d’investissements environnementaux!


            Raufflet affirmait en 2003 que la logique financière, au cœur des modèles comptables, était dénoncée par « la logique écologico-organisationnelle qui l’accuse de maintenir l’entreprise dans une logique limitée, en ce qu’elle considère les problèmes environnementaux essentiellement comme des problèmes techniques d’ingénierie centrés sur les besoins et les performances de la firme. »[1]
        Nous voici donc au cœur de l’une des problématiques de la comptabilité environnementale : un type de coûts devant être internalisé, mais peu d’outils adaptés à cette intégration.  L’analyse coûts-bénéfices traditionnelles de la comptabilité financière, dans sa forme originale, est-elle réellement adaptable à ce domaine spécifique ?  

            
                Plusieurs éléments doivent être mis en relation dans ce débat.  Les conséquences des actions environnementales n’obéissent pas à une relation linéaire simple et certains investissements, à court terme, peuvent compromettre sérieusement la santé financière de l’entreprise, ce qui rend l’application de modèles de calcul standards, comme celui du coûts-bénéfices, très risqué[2].  Dans cette analyse simple, il faut aussi inclure la notion de ‘nature d’entreprise’.  Une variable qui influe grandement sur l’impact des coûts environnementaux.  Les préoccupations environnementales constitueront des opportunités économiques pour un type d’entreprise particulier et un coût perdu pour d’autres, particulièrement pour les entreprises très polluantes.  Il faut également considérer, selon l’entreprise, la pression et la nécessité d’internaliser les coûts environnementaux.  Il s’agira, pour l’une, d’une action nécessaire en raison de normes et des pressions sociétales et, pour l’autre, d’un choix stratégique.  Dans le premier cas, il ne s’agit pas de maximiser la rentabilité en introduisant la variable environnement, mais plutôt de trouver un compromis entre l’obligation et cette nécessité de profitabilité.  

                Il s’agit ici de voir plus loin que les logiques simplistes du ‘win-win’ et du ‘win-loose’ et plus loin que l’application bête et méchante d’outils de calcul linéaire développés pour l’analyse comptable traditionnelle. Le cas par cas est la logique qui semble la plus plausible pour l’analyse des investissements environnementaux.  Une méthodologie qui demande un peu plus de réflexion, d’analyse et de prise de conscience.  

                Et qu’en est-il des outils de gestion des coûts?  Font-ils face à la même problématique que l’analyse coûts-bénéfices?  Sont-ils inadaptés et faussent-ils la mesure des coûts environnementaux?




[1] Raufflet, Emmanuel (2003), Cité par Caron, Marie-Andrée, (2004), Les modèles comptables de développement durable comme modèle d’affaires pour une action mesurée, Les cahiers de la Chaire – collection recherche, UQAM, No. 03, 16 pages.
[2] Boiral, Olivier, Environnement et économie, une relation équivoque, VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 5, no 2, novembre 2004, [page consultée le 2 octobre 2013].

Les outils


          Comme nous l’avons vu, les analyses et outils de mesure découlant de la comptabilité financière et de management s’adaptent difficilement aux considérations environnementales.  Plus loin encore que les outils d’analyse coûts-bénéfices, nous retrouvons tous les outils d’aide à la décision, utilisés sur une base quotidienne par les entreprises.  Ces outils utilisés pour la prise en compte du domaine environnemental ont, pour la plupart, été développés initialement pour une comptabilité traditionnelle et été adaptés, sommairement ou pas, à ce nouveau concept.


                Les outils peuvent être choisis selon les différentes considérations et besoins des entreprises comme le démontre l’arbre décisionnel[1] suivant :

                Nous traiterons donc ici de trois des outils utilisés pour la gestion des coûts soit : la méthode du coût complet, la comptabilité par activités, et l’analyse du cycle de vie.  Nous définirons ces outils et leur application dans le cadre environnemental.  Nous verrons ensuite si ces outils, d’abord  destinés à une comptabilité traditionnelle, sont efficaces dans ce contexte?  Procurent-ils l’information nécessaire à la prise de décision environnementale?  Permettent-ils réellement à tous les types d’entreprise de gérer efficacement les coûts environnementaux et de contribuer à la mise en place d’un plan de développement durable?




[1] Rannou, Clémence & Henri, Jean-François, (2010). The better way to measure, CMA Management, June/July, p.28-32.

Un regard 360° sur la méthode du coût complet

Les gestionnaires de tout type d’organisation ont pour objectif d’assurer la légitimité de l’entité par l’entremise de sa responsabilité sociale, économique et écologique. Les décisions de nature stratégique, notamment celles incluant l’aspect du développement durable nécessitent des réflexions et des analyses beaucoup plus approfondies, que la prise de décision opérationnelle. En ce sens, l’approche du coût complet est un outil d’analyse fort intéressant mis à la portée des décideurs.
D’entrée de jeu, la première question à se poser est la suivante : En quoi consiste la méthode du cout complet?  L’ICCA s’est penchée sur le sujet et a proposé la définition qui suit : « La comptabilisation du coût complet consiste à intégrer les coûts internes (y compris la totalité des coûts environnementaux internes) engagés par une entité aux coûts externes liés aux impacts de ses activités, de son exploitation, de ses produits ou de ses services sur l’environnement.» (ICCA, 1997, p. 12)
En quoi se distingue l’approche du coût complet versus les autres techniques d’analyses traditionnelles relatives aux investissements? La différence réside dans le fait que cette méthode considère d’emblée tous les coûts internes et externes en comparaison à l’analyse des flux de trésorerie ou au délai de récupération. La preuve étant que «Les calculs effectués selon la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie, par exemple, ne tiennent généralement pas compte du fait qu’une usine perd de son efficience à la fin de sa vie utile (ni des risques accrus d’émissions et de déversements qui accompagnent une telle perte d’efficience)[1]».
Afin de réaliser avec brio une analyse du coût complet, il y quatre étapes à respecter. En premier lieu, il faut relever tous les coûts associés de près ou de loin au projet d’investissement étudié. Cette tâche n’est pas une mince affaire, car elle doit tenir compte des coûts traditionnels de l’entreprise, des coûts intangibles et des externalités. Avoir recours à des scénarios à la fois optimistes et pessimistes peut aider les gestionnaires à dresser un portrait global des coûts qui sont susceptibles de se réaliser. En deuxième lieu, il s’agit de pouvoir déterminer les objets de coût. C’est-à-dire de relier les coûts à des processus ou bien à des activités au sein du processus de fabrication ou de l’offre de service. Cela nécessite une compréhension approfondie du fonctionnement interne de l’organisation ainsi que des conséquences positives et négatives engendrées sur la communauté.  Par le fait même, il est possible de déceler quels sont les processus ou activités ne contribuant aucunement à la création de valeur. Ainsi, les gestionnaires seront enclins à remanier les processus et à émettre des recommandations en vue de diminuer, voire même d’éliminer les activités n’ayant aucune valeur ajoutée. En troisième lieu, il importe de déterminer un horizon temporel en lien avec le projet d’investissement. Sur la période étudiée, il faut tenir compte des coûts pouvant être évités en optant pour le projet à dimension environnementale. À l’inverse, les amendes et répercussions négatives découlant d’un projet ne respectant pas tout à fait les normes et législations doivent également être considérées. Enfin, tout projet d’investissement doit être actualisé, c’est pourquoi la quatrième étape incorpore des indicateurs financiers à l’analyse.

L’envers de la médaille
Tel qu’illustrée précédemment, l’analyse du coût complet semble être une technique d’analyse remarquablement bien pensée. C’est en partie le cas, car elle ne laisse pas place à la sélection de données en termes de coûts,  de sorte à vouloir avantager un projet au détriment d’un autre. Elle se démarque des analyses traditionnelles car elle incorpore les coûts abstraits et diffus, et c’est ce qui en fait sa force. Toutefois, sa force peut également se révéler être son talon d’Achille. En effet, la principale faiblesse de cette approche réside dans l’incertitude face aux coûts intangibles et aux externalités. Notons, que recenser tous les coûts directs et indirects nécessite une collecte de données considérable, qui elle-même soit dit en passant entraîne des coûts. De plus, lorsque vient le temps d’internaliser les coûts externes, il faut faire preuve d’un sens critique aiguisé car les gestionnaires peuvent tomber dans le piège de ne pas voir plus loin que le bout de leur nez ou à l’inverse de plonger dans des liens de causalité sans fin. Par ailleurs, les externalités étant diffuses, elles reposent principalement sur des estimations pouvant être biaisées. Cela risque de ne pas mener à une comptabilisation incomplète des coûts. Enfin, étant donné que les décideurs aiment prendre appui sur des données fiables lors de projets d’investissements, peut-être seront-ils tentés de mettre à l’écart la méthode du coût complet qui comporte son lot d’estimations?

Somme toute, cette méthode requière une rigueur intellectuelle dans la mise en œuvre de chacune de ces quatre étapes. En outre,  «La comptabilisation du coût complet permet parfois de découvrir des coûts externés qu’il est possible d’éliminer en repensant la conception des produits, des activités ou de l’exploitation»[1].


Application du coût complet chez Ontario Hydro
Étant donné que l’établissement des coûts liés au processus de fabrication et à l’offre de service s’avère un peu plus facile à cerner, nous avons opté pour une illustration des méthodes permettant l’évaluation des coûts externes. Cet exemple est tiré de l’application du modèle du coût complet par l’organisation publique Ontario Hydro. Ce tableau résume les moyens entrepris par Ontario Hydro pour chiffrer une valeur monétaire aux externalités de ses activités sur les actifs naturels.

Méthode
Description

            Méthode 
du prix du 
marché
  •  Se base sur l’information des prix du marché (exemple : contamination de terres _ valeur marchande du blé
  •  Utilisée lorsque le bien est usuellement échangé sur le marché


Méthode 
des coûts de
déplacements
  • Estime la valeur des bénéfices liés à l’usage récréatifs des actifs naturels
  • Repose sur l’hypothèse que les individus manifestent l’intensité de leur demande d’usage d’un site récréatif par l’ensemble des dépenses qu’ils engagent pour s’y rendre et pour pratiquer l’activité



Méthode
 des prix
hédonistes
  • Évalue la variation de valeur liée à un bien d’habitation en fonction de son milieu environnant
  • Repose sur l’hypothèse d’un lien entre le prix d’un bien d’habitation et ses différentes caractéristiques, notamment celles relatives à son environnement


Méthode 
d’évaluation
contingente
  •  Se base sur une interrogation directe des individus pour estimer leur consentement à payer de l’argent pour obtenir une amélioration de l’environnement ou à recevoir de l’argent pour accepter une dégradation de l’environnement

Source : compilation d’après CMA, (1996, p. 42) et Bréchet (2005b, p. 5)







[1]Doody, H., La durabilité environnementale : outils et technique, 2010, 83 p.



L’outil : Activity-based costing

Deux problématiques principales sont attribuables aux coûts environnementaux:
-    Les coûts environnementaux sont simplement additionnés aux frais généraux, ce qui empêche la traçabilité et un suivi de la réelle consommation par les produits;
-    Les méthodes d’allocations des frais indirects, dont les frais généraux, sont peu viables et manquent de sophistication.[1][2]

                Le processus de gestion des coûts environnementaux comprend bien entendu l’étape cruciale d’identification (figure 1[3]).


                Une fois cette étape réalisée, l’erreur des entreprises est d’additionner ces coûts environnementaux aux frais généraux et de maintenir l’allocation (dans le cas d’une distribution des frais indirects) jusqu’aux produits de la façon courante, sans réflexion supplémentaire sur la justesse d’une telle allocation des coûts environnementaux.  Plus la portion de ces coûts est élevée par rapport aux autres frais généraux et plus le biais sera important.  Cette allocation biaisée peut pousser les entreprises à prendre de mauvaises décisions sur les mauvais produits.
                L’ABC est, en partie, une solution, selon sa méthode d’utilisation[4].  La première méthode consiste à distribuer les coûts environnementaux aux activités, selon leur proportion de consommation, puis aux produits.  L’attribution aux produits selon leur consommation d’activités augmente la pertinence de la répartition.
      Méthode 1




               















           Cette méthode n’est possible que si les frais environnementaux ont d’abord été dissociés des frais généraux.  Sans cette première extraction, les coûts environnementaux seront simplement distribués aux activités sur la base de distribution des frais ‘overhead’, ce qui n’apporte rien en terme de constatation de consommation par les produits.

                La deuxième méthode (voir figure méthode 2) isole les activités s’apparentant aux pratiques environnementales et permet de retracer ces coûts en provenance des autres centres de ressources qui n'étaient, jusqu'alors, pas considérer dans cette optique.  De plus, nous pouvons ajouter à la justesse en utilisant un inducteur spécifique à cette nouvelle activité.  La distribution des coûts environnementaux ne se fera dès lors plus sur la base de consommation des activités du processus de production de l’entreprise (assemblage, découpage, etc), mais sur la base d’un inducteur plus précis.  L’inducteur ‘environnemental’ utilisé pourra se rapporter d’avantage à l’objet de coût directement et à sa réelle ‘consommation’ de ce type de coûts[5]. Quatre types d’inducteurs sont considérés (Nations Unies, 2001)[6][7] :


  1.      Volume d’émissions ou de déchets (rejets) traités
  2.      Toxicité des émissions ou des déchets (rejets) traités
  3.      Impacts environnementaux des émissions ou déchets (rejets)
  4.      Coûts relatifs aux traitements des émissions ou des déchets (rejets).




     Méthode 2




 














             Plusieurs exemples d’application sont disponibles, notamment le cas AT&T[8].  L’équipe de travail mise sur pied pour les besoins de la comptabilité verte a d’abord analysé les meilleures pratiques et les processus de l’entreprise, puis recueilli les informations de son équipe de travail.  Ils ont ensuite choisi l’utilisation de l’ABC comme outil de distribution des coûts environnementaux qui suivrait les principes suivants

  • Where activity based costing  (ABC) captures cost elements in process -- we need to add the environmental elements;
  • Where activity based management (ABM) uses data to make decision -- we need to add the environmental criteria to the decision models.


                La compagnie Double Envelope a, pour sa part, utilisé la première méthode (voir figure méthode 1) en retirant des frais généraux et en isolant au niveau de son Grand Livre (Ressources) ses coûts énergétiques.  Ce poste distinct au niveau de la production permet l’imputation aux divers centres de coûts et informe plus précisément sur leur consommation en énergie[9].

Les faiblesses de la méthode
                L’ABC tend à ne considérer que le présent dans son évaluation et distribution des coûts aux produits.  Il ne prend pas en comptes tous les coûts ‘éventuels’ (voir figure 1) pouvant survenir à un moment ou un autre de la vie du produit.  Une possibilité de résolution de cette faiblesse réside dans l’utilisation superposée de deux méthodes : L’ABC et la méthode du cycle de vie, la deuxième permettant une vision future en incluant les coûts ‘éventuels’ et ceux moins tangibles[10].

              Cette faiblesse peut donc être atténuée par l’association à une deuxième méthode.  Cependant d’autres enjeux demeurent.  La mise en place d’une comptabilité par activités est complexe, demande du temps, une analyse et une connaissance poussée des processus, ce qui signifie des coûts élevés.  Cet outil demande aussi la présence d’un système d’information assez performant qui permettra l’obtention des statistiques et inducteurs nécessaires.  Bien que cet outil semble très efficace, il faut se question sur la nature des activités de l’entreprise, sa taille et son besoin réel d’isoler les coûts environnementaux.  Si cet outil n’était pas déjà au centre de la gestion et distribution des coûts traditionnels, doit-on réellement chambouler toute l’entreprise en vue d’isoler un type de coût en particulier?  Les modes font naître parfois des besoins futiles… Ce pourrait bien être le cas ici.





[1] Henri, Jean-François, cours Gestion des coûts environnementaux, HEC Montréal, 2011
[2] CMA Canada, Outils et techniques de comptabilité environnementale appliqués aux decisions de gestion, 1999, 31 pages
[3] CMA Canada, Outils et techniques de comptabilité environnementale appliqués aux decisions de gestion, 1999, 31 pages
[4] Doody, Helenne, La durabilité environnementale: outils et techniques, CMA Canada, 2010, 82 pages.
[5] Rannou, Clémence & Henri, Jean-François, The better way to measure, CMA Management, june/july 2010, p.29-32.
[6] Nations Unies, Environmental management accounting procedures and principles, 2001, New-York, 144 p.
[7] Michaud, Marc-Olivier, L’Émergence de la comptabilité environnementale: evaluation des pratiques et des perspectives, Université de Sherbrooke, janvier 2008, 55 pages.
[8] EPA, Environnemental accounting case studies: green accounting at AT&T, Washington, EPA 742-R-95-003, 60 p.
[9] Doody, Helenne, La durabilité environnementale: outils et techniques, CMA Canada, 2010, 82 pages.
[10] Kreuze, Jerry G. & Newell, Gale E., ABC and Life-cycle costing for environmental expenditures, Management accounting, February 1994, p.38-42